Je me libère de mes chaines
« Mais Margaux, tu vas quand même pas faire de l’humanitaire ? »
Çà, c’est la réaction à chaud de mon boss quand je lui annonce que je démissionne pour faire « quelque chose de très différent, très loin ». Pas pour changer de boîte et être mieux payée chez un concurrent. Non. Je ne change pas juste un bourreau pour un autre.
Je me libère de mes chaines.
Enfin.
Et de la plus belle des manières.
J’ai le cœur qui bat à mille à l’heure. Je tremble même.
Je vais m'envoler pour un tour du monde en solo mais à ce moment-là, je garde volontairement le secret, et n’en dirai pas plus. C’est mon rêve, mon projet fou, mon bébé. J’ai pris la décision, ou plutôt elle s’est violemment imposée à moi, à peine 3 jours auparavant.
C’est bien trop frais pour que j’en parle sur mon lieu de travail. Je n’ai pas envie d’avoir d’avis, d’éventuel jugement. Après tout, il y a comme une règle tacite : personne ne dit jamais chez « qui » il va quand il démissionne.
Alors, même si je m’extirpe de ce monde-là, je sens si fort au fond de mon ventre que je dois me préserver que je vais appliquer une dernière fois l'une de ces règles et garder le silence.
Cette décision est encore trop fragile même si elle me donne déjà une force immense, comme je m’en suis rarement connue.
Il écrit machinalement sur son cahier « Très différent, très loin. »
Il a demandé qui me débauchait et à quel prix, m’a dit qu’ils pouvaient certainement s’aligner.
Je crois qu’il s’attendait à noter des chiffres, des conditions, une date de départ peut-être. De ces 4 mots, il ne sait que faire.
Ça ne rentre pas dans le moule, ça n’a rien à voir avec ce qu’il attendait.
Il regarde son cahier.
Souligne deux fois le mot « loin ».
Puis relève les yeux, l’air perdu.
Et là, cette phrase, ce regard interloqué & ce ton légèrement outré qui achèvent de me libérer davantage : « Mais Margaux, tu vas quand même pas faire de l’humanitaire ? ».
Et dans ma tête, une voix qui hurle en réponse :« Ben si tiens ! Peut-être que j’en ferai en chemin ! Et ALOOOOOOORS ? »
Plusieurs années après, alors que j’écris ces quelques mots, je le remercie infiniment.
Comme je l'ai fait souvent sur la route, à chaque fois que je me replongeais dans le souvenir de cet instant déterminant et libérateur.
Car s’il restait encore une infime partie de moi qui doutait encore, elle a définitivement volé en éclats à cet instant-là.